15.08.2006
la vierge
Je ré-édite ce billet du 15 août qui inexplicablemnt empêchait les suivants d'apparaître à l'ouverture.
Le 15 août est, pour les chrétiens la fête de la Vierge Marie, la mère de Jésus ; c'est l'occasion de l'évoquer non pour donner un cours de catéchisme -j'en serais bien indigne - mais pour illustrer la place de la sainte vierge dans l'art par quelques représentations que j'aime beaucoup ou qui donnent d'elle une image un peu différente de celle de nos représentations traditionnelles.
Avec la crucifixion, la Vierge Marie a été une source d'inspiration majeure dans l'histoire de l'art au moins jusqu'au 16ème siècle; les épisodes de sa vie ont tous été représentés par les peintres et par les sculpteurs: l'Annonciation, la Nativité, la mère et l'enfant, et la mère devant son enfant mort sur la croix - les pieta - jusqu'à son Assomption dans les cieux qui est justement l'objet de la commémoration du 15 août.
Bien évidemment, comme une étude en 1O tomes n'y suffirait pas, je vais avancer au gré de mes goûts et sans ordre .
Commençons par la Madone Sixtine de Raphaël peinte entre 1512 et 1513 :
Raphael (1483-1520) - la Madone Sixtine - Gemälde Galerie Dresde
Elle est surtout connue par les deux chérubins, pensifs et rêveurs qui ornent le bas du tableau; pourquoi sont ils là avec cet air mélancolique ? Daniel Arasse dans son "Histoire de peintures" ( Folio -Essais 2006) avance l'explication suivante : la madone Sixtine présente très exactement le moment de la révélation du dieu vivant ce qui signifie aussi qu'il va mourir et les deux enfants sont la figuration chrétienne des chérubins gardant le voile du temple dans la religion juive: le dieu s'est rendu visible et Raphael laisse à des enfants le soin d'en montrer la caractère tragique : c'est vrai qu'ils ont un air songeur et mélancolique; si Arasse a raison - et pourquoi pas ... il y a de quoi
Regardez les bien !
Les représentations de la vierge sont innombrables ; autant s'en tenir à certaines que j'aime bien ou qui la montrent d'une manière moins conventionnelle.
Le costume de Marie jusqu'à la Renaissance au moins et même jusqu'à la fin du 18ème siècle était simple, fait de tissus de couleur unique avec le plus souvent, par convention, du bleu foncé et du rouge, l'un et l'autre alternant entre la tunique et la robe du dessous ( à voir ci - après ); Bellini et d'autres l'ont aussi représentée vêtue de noir - voir ci dessous - dans les scènes liées à la mort du Christ. Ce n'est que plus tard, vers la fin du 19ème siècle, avec l'institution du dogme de l'Immaculée conception (1854) et du pélerinage de Lourdes que l'habit est devenu dans l'imagerie uniformément blanc avec un peu de bleu ( enfin, c'est ce qu'il me semble ).
Un exemple pris chez Raphael où l'on a bien du mal à reconnaître la Vierge habituelle: tissu coloré, presque d'allure orientale, une étoffe riche et un siège d'apparat...ça change:
Raphael - la Madone à la chaise -1513-1514
Vous croyez regarder le tableau ? détrompez vous, c'est la Madone qui vous regarde d'où le charme voire la fascination qu'il exerce.
La vierge et l'enfant, par exemple, a inspiré tous les artistes ; elle est montrée tantôt sous des traits idéalisés:
Hans Memling - vers 1485-90 - Chicago
ou encore :
Gian Francesco Penni (1488-1528) - la Vierge au diadème bleu (vers 1512)
atelier de Raphaël - musée du Louvre
tantôt sous les traits d'une très belle femme,comme un de nos top modèles contemporain, et dont la beauté n'a rien de religieux
Giovanni Bellini (1426-1516 ) - la vierge à l'enfant bénissant (1510)
L'Annonciation reste un des thèmes favoris des peintres italiens du Quatrocentto et de la Renaissance; Fra Angelico est sans doute un des plus connus , il en a peint plusieurs dont les plus célèbres sont celles de Cortone (1433-34) et du couvent St Marco à FLorence (1450)
Cortone
mais celle que je préfère de lui est aussi au couvent St Marco de Florence; la voici, pure et dépouillée et combien plus émouvante dans sa simplicité:
Couvent St Marco - vers 1439-1443
Une autre annonciation mérite qu'on s'y arrête; là encore c'est Daniel Arasse qui explique et je lui emprunte les observations qui suivent (je n'avais rien remarqué, évidemment ); il s'agit d'une oeuvre d'Ambroggio Lorenzetti , un peintre plus ancien (1337-1440) un des premiers à esquisser l'ébauche des règles de la perspective (regardez le carrelage):
Deux détails sont à remarquer :
- le geste de l'ange: aucune autre annonciation ne montre ce geste d'auto stoppeur, tous montrent la vierge la main en avant ou ont les mains jointes; pour Arasse, c'est une façon pour Lorenzetti de montrer qu'il était conscient de " la valeur fondatrice de ce moment où l'incommensurable [l'incarnation suite de l'annonciation]vient dans la mesure, le fini dans l'infini, le Créateur dans la créature..."
- la vierge porte une boucle à l'oreille,alors que les jeunes filles vierges justement, à l'époque du peintre, ne devaient pas porter de bijou et que la vierge était pauvre; l'explication est qu'en Toscane, en ce temps là, il avait été décrété que les femmes juives devaient porter quand elles sortaient, des boucles d'oreille pour qu'on les reconnaisse.
...pas très visible mais elle se devine
Je passe sur la nativité, peu de chefs d'oeuvre la représentant me plaisent vraiment; l'assomption, aussi a été traitée de manière un peu fade , même cette oeuvre, de Goya pourtant:
Francisco Goya (1746-1828) le Prado Madrid (1812)
C'est dans les Pieta que les artistes ont, à mon avis, réussi à donner le sens le plus chargé d'émotion au symbole chrétien de la vierge Marie; la pietà est un thème de la Vierge douloureuse, tenant sur ses genoux le corps du Christ descendu de croix.
La plus célèbre est, bien sûr, celle de Michel Ange, chef d'oeuvre absolu de l'Art où la mère, éplorée, est toute de douleur :
Michel Ange Pieta-1498-99
Mais d'autres me touchent infiniment comme cette vierge de Lamentations du Maître de Moulins :
Le Maître de Moulins (? activité de 1471 à 1497 )
la Vierge de Lamentations (vers 1500 ) - Chicago, Art Institute
et surtout cette scène poignante de Giovanni Bellini " Le Christ mort avec la Vierge et St Jean" réalisé vers 1470:
Giovanni Bellini ( 1426-1516)- Pieta dite Pieta de la Brera (vers 1470)-Pinacothèque de Brera à Milan
et là, tout est dit sur la douleur d'une mère qui pleure son enfant mort .
Si vous regardez le tableau de près ( la reproduction ci dessus le coupe un peu en bas, vous verrez sous la main du Christ une inscription illisible sur l'image mais traduite par les spécialistes ; cela donne :
« hæc fere quum gemitus turgentia lumina promant/Bellini poterat flere Ioannis opus » [« si ces yeux larmoyants pouvaient émettre des gémissements, l'œuvre de Giovanni Bellini pourrait alors pleurer »
Il s'agit- d'après mes sources documentaires -d'une citation déformée d'une élégie de Properce ( j'avoue que je ne l'aurais pas deviné) et, notez le - c'est invisible sur cette reproduction tronquée en bas, hélas - la signature est pour la seule fois -dixit le spécialiste - dans le sens Bellini Giovanni ce qui fait que le prénom est situé juste en dessous de la main du Christ mort et que, toujours d'après ma source documentaire-une goutte de sang coule de cette main sur le prénom Giovanni qui est celui de l"apôtre auprès du Christ mort - Giovanni en italien c'est Jean comme l'apôtre du tableau.
Il faut le voir de près certainement: quand vous irez à la galerie Brera à Milan, prenez une paire de jumelle de spectacle pour regardez ça .
Notez en passant que cette Pieta est la première, à ma connaissance, qui montre le Christ mort debout au lieu d'étendu sur les genoux de la Vierge.
Il en a fait d'autres dont celle ci, assez étrange (irruption du paysage derrière la scène principale, ici, peut être des bâtiments de Venise où il était établi ), mais vous remarquerez que sur les deux, la Vierge n'est plus la jeune femme idéalisée mais a les traits d'une femme âgée, une mère d'un fils de 33 ans et ce parti pris de réalisme ajoute encore au caractère poignant de la scène :
Giovani Bellini - Pieta vers 1505 - Gallerie d'ell Accademia - Venise
J'en laisse, beaucoup, que vous pourriez préférer ou que vous trouvez plus belles, plus poignantes , mieux peintes, que sais je; j'ai ignoré les vierges de Léonard de Vinci, la plupart de Raphael, les peintres allemands à part cette vierge allaitante de Dürer , tant j'aime Albrecht Dürer:
A. Dürer (V. 1471-1528) - Vierge allaitante -Kunsthistoriches Muséum - Vienne
j'ai ignoré les Pieta des primitifs dont la très célèbre Pieta d'Avignon et aussi les oeuvres sculptées mais là, j'y reviendrai après les vacances et il faudra évoquer aussi les vierges noires, nombreuses et encore vénérées en France ; ce petit billet long n'avait d'autres fins que de donner un modeste aperçu d'un des thèmes iconographiques les plus riches de l'histoire de l'art à l'occasion de la fête chrétienne du 15 août .
Et pour vous permettre de souffler et en guise de transition avant d'autres billets plus légers, voire moins habillés, je vous livre la pub que Kookaï avait commis naguère en pastichant la Pieta :
Demain, il faudra que je vous trouve quelque chose de plus léger ...