Célébrer mai:
Mai
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
En barque sur le Rhin et ces dames qui "regardaient du haut de la montagne", comment ne pas pas penser à la Lorelei ?
Die Lorelei
Ich weiß nicht, was soll es bedeuten,
Dass ich so traurig bin ;
Ein Märchen aus alten Zeiten,
Das kommt mir aus dem Sinn.
Die Luft ist kühl und es dunkelt,
Und ruhig fließt der Rhein ;
Der Gipfel des Berges funkelt
Im Abendsonnenschein.
Die schöne Jungfrau sitzet
Dort oben wunderbar :
Ihr gold'nes Geschmeide blitzet,
Sie kämmt ihr goldenes Harr.
Sie kämmt es mit goldenem Kamme,
Und singt ein Lied dabei ;
Das hat eine wundersame,
Gewaltige Melodei.
Den Schiffer im kleinen Schiffe
Ergreift es mit wildem Weh ;
Er schaut nicht die Felsenriffe,
Er schaut nur hinauf in die Höh'.
Ich glaube, die Welten verschlingen
Am Ende Schiffer und Kahn ;
Und das hat mit ihren Singen
Die Loreley getan.
Heinrich HEINE (1799-1856)
Ce poème est des plus beaux de la langue allemande et Heine un de ses plus grands écrivains; pour les non germanophones , voici une traduction qui en rendra un peu de sa beauté mélancolique:
Mon Coeur, pourquoi ces noirs présages?
Je suis triste à mourir.
Une histoire des anciens âges
Hante mon Souvenir.
Déjà l'air fraîchit, le soir tombe,
Sur le Rhin, flot grondant;
Seul, un haut rocher qui surplombe
Brille aux feux du couchant.
Là-haut, des nymphes la plus belle,
Assise, rêve encore;
Sa main, où la bague étincelle,
Peigne ses cheveux d'or.
Le peigne est magique. Elle chante,
Timbre étrange et vainqueur,
Tremblez fuyez! la voix touchante
Ensorcelle le coeur.
Dans sa barque, l'homme qui passe,
Pris d'un soudain transport,
Sans le voir, les yeux dans l´espace,
Vient sur l`écueil de mort.
L´ecueil brise, le gouffre enserre,
La nacelle est noyée,
Et voila le mal que peut faire
Loreley sur son rocher."
Pour tout dire je ne l'aurais pas traduit ainsi : par exemple, les quatre premiers vers:
"Je ne sais pas ce que cela veut dire
D'être aussi triste
Une histoire des anciens temps
Qui me vient à l'esprit "...
mais...c'est maladroit car trop près du texte; la traduction complète que je vous livre au dessus est celle de Heine lui même, en 1823, et c'est , à dire vrai, ce que l'on ressent quand on le lit en allemand .
On est loin du Mai, du "joli mai en barque sur le Rhin" de Guillaume Appollinaire.
vraiment ? Apollinaire est souvent mélancolique, lui aussi:
....................
"Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières...."
Archétype de la poésie romantique allemande, Die Lorelei évoque une légende du Rhin; la Lorelei était une belle femme blonde qui chantait du haut d'un rocher qui surplombe le fleuve , près d'un coude de son cours formant un passage assez dangereux pour les bateliers, en amont de St Goarshausen et ce qui doit arriver arrivait : un naufrage; éternel mythe de la sirène et du navigateur , rappelez vous Ulysse et l'île des Sirènes au retour vers Ithaque, mais lui , plus avisé que les bateliers du Rhin, a échappé à leur sort funeste en se faisant attacher au mat après avoir bouché les oreilles de ses matelots avec de la cire.
c'est là et la Lorelei, c'est elle:
et dans une représentation romantique :
Heinrich Heine mériterait un billet tout entier ; on est bien loin du joli mois de mai qui incite plutôt à l'allégresse, mois de Marie pour les catholiques , mois des roses pour les jardiniers, des pavés pour les CRS , des barricades pour les sexagénaires et les nostalgiques de la révolution étudiante et le mois de la mouche pour les pêcheurs de truite.
Je fourbis mes lignes, j'astique mes bottes , je revois tous les jours l'ordonnancement de ma musette, je les sens , belles, hardies , sauvages et même la Lorelei ne saurait me détourner de ce moment de paradis où, foulant l'herbe du pré, dans l'odeur de la menthe fraiche, je lance tout près du gobage: elle prend, la ligne se tend, mon coeur bat à tout rompre, elle est là sur le pré dans sa belle robe d'or mouchetée de rouge et de noir; délicatement, je décroche l'hameçon piqué sur la corne du bec et je la rends à la rivière.
Bon, c'est encore un rêve mais si tout va bien...
le coup du soir
Qui ne connait la magie d'une rivière au soir qui tombe connait il la beauté du monde? alors que certains vont la chercher loin, en Indonésie, en Thaïlande, aux Maldives où que sais je encore, on la trouve au bout du pré , dans le sous bois , un soir de mai , au bord du torrent .