" Bagnard au bagne de Vauban
dans l'ile de Ré, j'mange du pain noir et des murs blancs
dans l'ile de Ré
à la ville m'attend ma mignonne
mais dans vingt ans pour elle je n'serais plus personne
Merde à Vauban".....
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Qui ne connait cette superbe chanson de Léo Ferré (lesquelles, d'ailleurs, ne sont pas superbes chez lui ) et l'île de Ré n'est pas le bout du monde, donc la place forte érigée par Vauban pour servir de défense à l'île et sa forteresse , convertie en pénitencier au 19ème et point de départ pour le bagne de Cayenne, sont bien connus de tous ceux qui ont fait un tour sur ce petit bout de terre en face de la Rochelle.
Mais ce n'est pas le sujet; le détour par Léo Ferré n'est qu'un prétexte pour signaler aux amoureux de vieux bâtiments que l'IGN ( vous savez ceux qui vous font des cartes qui concurrencent celles de Michelin,) vient d'éditer une carte " la France de Vauban" qui répertorie lez sites, les enceintes urbaines, les citadelles et les forts crées ou remaniés par Vauban..
Et oui, nous célébrons cette année le tricentenaire de la mort de Vauban et tout le monde en parle, d'ailleurs, hier Laporte et Domenech devant leurs militants...non, je m'égare.
Vauban , né près d'Avallon en 1633 et mort en 1707, était un ingénieur militaire de Louis XIV qui a contribué par son génie à renouveler complètement l'art des défenses par les fortifications ; son oeuvre est considérable: il aurait créé une trentaine de villes, construit ou ré-aménagé plus de 150 places fortes etc...il y a peu de région de France où il n'ait laissé sa marque, une marque durable puisque la France a demandé à l'Unesco l'inscription de son oeuvre à la liste du patrimoine mondial.
Quelques exemples entre autres sites :
Neuf Brisach
Mont Louis
Besançon
(toutes photos tirées de ce site là)
Moins connu, un autre aspect de sa riche personnalité devrait retenir un peu plus notre attention en ce tricentenaire; Vauban fut aussi un homme attentif aux réalités économiques et sociales de son temps, un esprit novateur aux idées hardies et qui eut le courage de les présenter malgré le caractère absolutiste du régime du roi-soleil.
Une des ses oeuvres ultimes qui lui valut la disgrâce est son essai sur l'impôt - "la Dîme royale" - dans lequel, de façon étonnamment moderne , il préconise l'égalité devant l'impôt ; voici, extrait du dernier chapitre de cet ouvrage :
"...Je reviens au sujet de ce discours ; et, comme il n'est fait que pour inspirer, autant qu'il m'est possible, la modération dans l'imposition des revenus de Sa Majesté, il me semble que je dois commencer par définir la nature des fonds qui doivent les produire tels que je les conçois.
Suivant donc l'intention de ce Système, ils doivent être affectés sur tous les revenus du royaume, de quelque nature qu'ils puissent être, sans qu'aucun en puisse être exempt, comme une rente foncière mobile, suivant les besoins de l'Etat, qui serait bien la plus grande, la plus certaine et la plus noble qui fût jamais, puisqu'elle serait payée par préférence à toute autre, et que les fonds en seraient inaliénables et inaltérables. Il faut avouer que si elle pouvait avoir lieu, nien ne serait plus grand ni meilleur ; mais on doit en même temps bien prendre garde de ne la pas outrer en la portant trop haut..."
En clair et en langage moderne, Vauban demande que toutes les personnes qui habitent le Royaume supportent les charges publiques, en proportion de leurs revenus, sans distinction de classes. Il réclame l'égalité de tous les Français devant l'impôt, en proposant de créer une Dîme royale.
A l époque de l'apogée de la royauté ( nous sommes sous Louis XIV ) où les privilèges exemptent de l'impôt la noblesse et le clergé, il fallait une particulière audace et une grande élévation d'esprit pour oser proposer un système aussi ..."révolutionnant" .
Il est peu de dire que le livre fut mal accueilli; outre les manifetstaions de colère qu'il suscita contre son courageux auteur, le roi décida, par ordonnance du 14 février 1707, la saisie du mémoire qui fut condamné au pilori et à être brûlé de la main du bourreau.
Vauban en mourut de chagrin quelques mois après, lui, un des plus remarquables esprits de son temps, qui couvrit la France de défenses imprenables et d'ouvrages d'art extraordinaires ; on disait à l'époque, par aphorisme : "place défendue par Vauban, place imprenable, place attaquée par Vauban, place prise ".
Sans doute, l'Histoire ne lui a t-elle pas suffisamment rendu justice là où la tradition populaire - comme le montre l'IGN - le fait, elle, volontiers pour ses places fortes, en ne retenant que son oeuvre d'ingénieur militaire; on s'extasie encore devant la réforme du père Caillaux sous la IIIème république qui a créé l'impôt sur le revenu , on oublie l'avancée de Vauban trois siècles auparavant .
Là ne se réduit pas l'oeuvre de Vauban ; je citerai un prochain jour une lettre fameuse qu'il écrivit à Louvois au sujet des "queues d'ouvrage" c'est à dire de ces chantiers qui ne se finissent pas parce que les crédits destinés à les financer ne suivent pas; c'est tellement pertinent et bien dit que les contrôleurs financiers de l'Etat -l'actuel contrôleur financier en région placé auprès du trésorier payeur général de région depuis 1996 - peuvent en reprendre les termes tous les jours sans y rien changer.
Cela vous divertira, j'en suis sûr car au moins vous n'aurez pas là un discours d'énarque ( ne fuyez pas, saperlipopette !) mais un texte concis et clair dans une langue française d'une grande pureté , celle d'un honnête homme du 18ème siècle qui exprime en 15 lignes ce que les éminences qui nous gouvernent vous infligeront en deux pages (avec , j'en conviens , un plan parfait en trois parties).
C'était la minute de jubilation paragraphique de nicéphore qui vous salue bien sans reprendre à votre endroit et même à votre...le refrain de Léo Ferré mais en vous incitant, si le sujet vous intéresse, à vous ruer sur les sites dédiés à Vauban _ en voici un dans l'Yonne - et si le sujet ne vous intéresse pas , à vous élever l'esprit, le coeur et l'âme en vous trempant dans la poésie de Ferré sur le site que voici.
Merde à Vauban